Le sevrage des antidépresseurs: les ressources utiles

Antidépresseurs ISRS: tableaux des demi-vies et des doses équivalentes

Durée de la demi-vie d’élimination et des doses équivalentes des antidépresseurs ISRS:

Les 8 ISRS sur le marché d’après David Healy (2011)
Molécule active Noms commerciaux F / CH Durée de la Demi-vie

(ADMED Laboratoires, 2016)

Action sur

(Boisvert, 2008)

Doses équivalentes approxi-matives
fluoxétine Prozac / Fluctine 4 à 6 jours
(4-16 jours pour le métabolite actif (norfluoxétine))
sérotonine
(5-HT)
20 mg
paroxétine Deroxat / Divarius / Paronex 12 à 44 heures sérotonine
(5-HT)
20 mg
sertraline Zoloft / Sertragen 26 heures sérotonine
(5-HT)
50 – 75 mg
citalopram Seropram / Claropram 33 heures sérotonine
(5-HT)
20 mg
escitalopram Seroplex 30 heures (Compendium, 2017) sérotonine
(5-HT)
5 – 10 mg
fluvoxamine Floxyfral 20 heures sérotonine
(5-HT)
100 mg ?
venlafaxine Effexor / Efexor / Venlax 5 heures
(11 heures pour le métabolite actif (O-desméthyl venlafaxine)
sérotonine
(5-HT), noradrénaline (NA) à partir de 150mg (Healy, 2011) et dopamine (DA) à partir de 225mg
75 mg
duloxétine Cymbalta 9 à 19 heures sérotonine
(5-HT) et noradrénaline (NA)
30 mg

Sevrages spécifiques

Fluoxétine (Prozac) : propriétés et spécificités

Le Prozac est l’ISRS à la demi-vie la plus longue. La fluoxétine, qui est la molécule active de cet antidépresseur, a une demi-vie d’élimination moyenne de 2 à 4 jours et comme l’explique Altostrata (2011), au cours du processus d’élimination, l’organisme transforme la fluoxétine en un métabolite actif aux propriétés antidépressives – la norfluoxétine – dont la demi-vie est de 7 à 15 jours. L’organisme, en métabolisant la fluoxétine en norfluoxétine, prolonge donc la durée de l’action du Prozac jusqu’à plusieurs semaines après la prise. En effet, comme expliqué sur Wikipédia (2018) :

Au cours du temps, la fluoxétine et la norfluoxétine inhibent leurs propres métabolisation: la demi-vie de la fluoxétine passe de 1 à 3 jours après une seule dose et de 4 à 6 jours après un usage prolongé. De manière similaire, la demi-vie de la norfluoxétine s’allonge (16 jours) après une utilisation prolongée. Par conséquent, la concentration sanguine de fluoxétine et de ses métabolites actifs continue à croître au cours des premières semaines de traitement, et la concentration de fluoxétine et de ses métabolites actifs dans le sang se stabilise seulement après 4 semaines. De plus, la concentration cérébrale de fluoxétine et de ses métabolites actifs continue à augmenter au moins au cours des 5 premières semaines de traitement. Cela signifie que le patient ne ressentira les effets complets du dosage en cours qu’un mois minimum après qu’il ait été initié. Par exemple, dans une étude réalisée sur 6 semaines, le temps médian pour obtenir une réponse consistante était de 29 jours. De manière similaire, il se pourrait que l’élimination complète du médicament prenne plusieurs semaines. Pendant la première semaine qui suit l’arrêt du traitement, la quantité de fluoxétine dans le cerveau ne diminue que de 50%. Et 4 semaines après l’arrêt du traitement, la quantité de norfluoxétine dans le sang correspond à approximativement 80% de la concentration sanguine enregistrée à la fin de la première semaine de traitement. Finalement, 7 semaines après l’arrêt du traitement, la norfluoxétine est encore détectable dans le sang. Traduction par Carole (2018).

Ainsi, en début de traitement ou lors de l’introduction de la fluoxétine dans une procédure de sevrage, le plein effet du Prozac sur le cerveau ne se fera pas sentir avant plusieurs semaines.

De même, il est raisonnable de penser que l’effet du Prozac pourrait ne pas se dissiper avant plusieurs semaines, ce qui expliquerait notamment pourquoi nous avons constaté qu’avec un tel ISRS les symptômes de sevrage puissent apparaître en décalé, c’est-à-dire plusieurs semaines après une diminution de dose ou après l’arrêt complet du traitement.

Nous avons maintenant une explication du pourquoi les symptômes de sevrage d’un antidépresseur peuvent apparaître en décalé, à savoir plus d’un mois après l’arrêt de l’antidépresseur. En effet, comme nous venons de le voir, les métabolites du Prozac sont encore actifs plus de 4 semaines après la dernière prise, ce qui leur permet de « masquer » les symptômes de sevrage pendant les semaines qui suivent l’arrêt complet du médicament.

Par ailleurs, lorsque les diminutions de dose s’enchaînent tous les 15 jours ou à un rythme plus rapide, les symptômes de sevrage de chaque diminution risquent fort de se cumuler, mais en décalé dans le temps, rendant ainsi plus compliqué la découverte du premier sous-dosage en cause de l’apparition de ces symptômes. Il faudra alors remonter la dose de plusieurs paliers pour retrouver le dosage en cause. Puis il sera nécessaire de se stabiliser 4 semaines à cette dose de confort avant de reprendre un sevrage plus adapté aux propriétés particulières de cet antidépresseur (5% tous les 30 jours).

Avec le Prozac, respecter des paliers de 30 jours entre chaque diminution permet de « suivre » le rythme de métabolisation de la fluoxétine et de ses métabolites actifs. Le choix du pourcentage de diminution se fera quant à lui selon votre ressenti, c’est-à-dire, notamment, en fonction de l’intensité des symptômes de sevrage.

Les deux conditions de sevrage de la fluoxétine

Et c’est sur cette constatation que nous allons envisager les deux types de sevrage de la fluoxétine :

  • son sevrage en tant qu’antidépresseur d’origine
  • son sevrage en tant qu’antidépresseur de substitution

Le sevrage de la fluoxétine lorsque celle-ci est l’antidépresseur d’origine

Lorsque la fluoxétine a été prise pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, son plein effet est installé, étant donné que, comme nous venons de le voir, 30 jours sont nécessaires pour que les concentrations sanguine et cérébrale atteignent un taux stable permettant ainsi au Prozac de produire son plein effet. Par conséquent, lors d’un tel sevrage, les diminutions se feront à partir d’une dose qui est stabilisée et qui induit un effet complet, connu, constant et donc beaucoup plus prévisible.

Le sevrage de la fluoxétine lorsque celle-ci sert de soutien ou de molécule de substitution à l’antidépresseur d’origine

Lors de l’utilisation d’une procédure de sevrage indirect, la fluoxétine qui est introduite, mettra en moyenne 30 jours pour manifester son plein effet. Dans la méthode de substitution de Healy, par exemple, ces trente jours correspondent aux 4 semaines de stabilisation à la dose mixte (fluoxétine / antidépresseur d’origine) que Healy suggère de respecter. Ce sont les 30 jours nécessaires à la fluoxétine pour développer son plein effet. C’est seulement une fois le plein effet de la fluoxétine installé, qu’il est proposé d’entamer le sevrage de l’antidépresseur d’origine.

Cependant, lors de l’utilisation de la stratégie de substitution directe proposée par Healy (2011), c’est-à-dire lors de la conversion complète et directe de la dose de l’antidépresseur d’origine en sa dose équivalente de fluoxétine, on ne laisse pas le temps à la fluoxétine de produire son plein effet avant de retirer l’antidépresseur d’origine.

Par conséquent, lors des premiers jours qui suivent cette conversion directe, les effets encore incomplets de la fluoxétine pourraient ne pas couvrir complètement les symptômes de sevrage provoqués par l’arrêt de l’antidépresseur d’origine.

Ainsi, la stratégie de substitution utilisée pourra potentiellement jouer un grand rôle dans l’apparition de symptômes de sevrage. Il est fort probable que l’utilisation d’une stratégie de substitution où l’antidépresseur d’origine est conservé, mais à dose réduite de moitié, pendant la période de 30 jours nécessaire au Prozac pour déployer son plein effet, permettra de réduire plus efficacement l’intensité des symptômes de sevrage, que si l’antidépresseur est complètement stoppé avant que le Prozac ait eu le temps de produire son plein effet.

En conclusion, lors de l’utilisation de la fluoxétine comme molécule de substitution ou de soutien pour endiguer les symptômes de sevrage, il est fortement conseillé d’attendre 30 jours avant de se prononcer sur l’effet de la fluoxétine et plus particulièrement sur sa réelle capacité à masquer les symptômes de sevrage de l’antidépresseur d’origine.

Le sevrage de la fluoxétine

Les auteurs anglo-saxons recommandent de débuter le sevrage de la fluoxétine sur un rythme de diminution de 10% de la dose en cours tous les 30 jours et d’ajuster ensuite, en fonction des symptômes de sevrage rencontrés. Cela nous paraît logique étant donné que d’une part le pourcentage de diminution proposé respecte les règles de diminution de la méthode des 10% et que la longueur du palier de stabilisation a été ajustée en fonction de la spécificité de la fluoxétine qui est d’avoir une capacité à « auto-allonger » la durée de sa demi-vie jusqu’à presque 1 mois.

Maintenant, étant donné que, d’une part, la durée de la demi-vie n’est pas égale à la durée de l’effet et que, d’autre part, il existe des différences individuelles dans la capacité de l’organisme à métaboliser cette molécule, il est raisonnable de penser qu’à la fois la longueur du palier et le pourcentage de diminution de dose devront être ajustés aux particularités individuelles de chacun.

D’autres protocoles de sevrage de la fluoxétine sont proposés par les auteurs anglo-saxons

Outre-Manche et outre-Atlantique, le Prozac est considéré comme un des antidépresseurs qui « s’auto-sèvre facilement». Les utilisateurs anglophones parlent du Prozac, comme d’un antidépresseur Self-tapering, c’est-à-dire comme d’un antidépresseur qui ne nécessite qu’un sevrage court de part sa capacité à allonger sa durée de vie dans l’organisme en inhibant sa propre métabolisation. Les protocoles de sevrage court proposés pour arrêter la fluoxétine sont les suivants :

Healy (2011) explique qu’à partir d’une dose de 10 mg de fluoxétine, il est possible de réduire le prise de fluoxétine de 1 mg par semaine (ou sur plusieurs semaines/mois si nécessaire). L’auteur propose d’allonger la longueur du palier si ça devient difficile.

Phelps (2005) suggère qu’en s’appuyant sur la particularité de la fluoxétine qui est d’avoir une demi-vie très longue, il est possible, à partir d’une dose de 10 mg de Prozac, d’enlever cette dose journalière un jour par semaine. Voici son protocole :

Semaine 1 : prendre 10 mg de fluoxétine tous les jours de la semaine, sauf le dimanche
Semaine 2 : prendre 10 mg de fluoxétine tous les jours, sauf le dimanche et le mercredi
Semaine 3 : prendre 10 mg de fluoxétine tous les jours, sauf le dimanche, le mardi et le mercredi
Semaine 4 : prendre 10 mg de fluoxétine tous les jours, sauf le dimanche, le mardi, le mercredi et le vendredi
Et ainsi de suite, jusqu’à ne prendre plus qu’une dose de 10 mg de fluoxétine un jour par semaine et ensuite, arrêter.

Le protocole de Phelps pourrait être représenté sous la forme d’un tableau, comme suit :

 

Dimanche

Lundi

Mardi

Mercredi

Jeudi

Vendredi

Samedi

Semaine 1

0

10 mg

10 mg

10 mg

10 mg

10 mg

10 mg

Semaine 2

0

10 mg

10 mg

0

10 mg

10 mg

10 mg

Semaine 3

0

10 mg

0

0

10 mg

10 mg

10 mg

Semaine 4

0

10 mg

0

0

10 mg

0

10 mg

Semaine 5

0

10 mg

0

0

0

0

10 mg

Semaine 6

0

10 mg

0

0

0

0

0

Semaine 7

0

0

0

0

0

0

0

 

Il nous semble cependant que débuter le sevrage de la fluoxétine avec des diminutions de 10% tous les mois et d’ajuster ensuite en fonction des symptômes de sevrage et des difficultés qui se présentent est une solution plus judicieuse et plus à même de permettre au sevrage d’aller à son terme.

Les formes galéniques de la fluoxétine

Eli Lilly France propose de la fluoxétine (Prozac) en solution buvable : 5 ml de solution buvable contiennent 20 mg de fluoxétine (Eli Lilly France, 2016). N’hésitez pas à consulter la notice patient du Prozac solution buvable à l’adresse suivante : https://www.lilly.fr/global/img/fr/nos-medicaments/pdfs/prozac/prozac-notice-solution-buvable.pdf

Les formes liquides ne sont pas toujours faciles à trouver, renseignez-vous auprès de votre médecin ou de votre pharmacien.

Par ailleurs, comme l’explique Altostrata (2011), il est également possible de préparer une forme liquide de Prozac à partir des comprimés. Par exemple, il est possible de diluer un comprimé dispersible de fluoxétine 10 mg dans 10 ml d’eau. Dans ce cas, 1 ml de la solution ainsi obtenue contiendra 1 mg de fluoxétine.

En outre, un comprimé dispersible de Fluctine contenant 20 mg de fluoxétine pourra être dissout dans 20 ml d’eau afin d’obtenir la même concentration, à savoir que 1 ml de la solution contiendra aussi 1 mg de fluoxétine.

Cette concentration de 1 mg de fluoxétine contenue dans 1 ml de solution aqueuse, nous permettra de réaliser les diminutions de dose plus aisément. De plus, 0.1 ml contiendra 0.1 mg de fluoxétine, ce qui permettra d’aller au plus près des pourcentages de diminution.

Pour plus de précision sur les techniques de titration reporterez-vous à la partie II consacrée au sevrage, notamment à la section intitulée Le sevrage en pratique.