2. L’enfer est entré dans ma vie

J’ai cédé….

Comment ai-je pu céder?

J’ai quand même réussi à obtenir quelques maigres compromis. Mais, ce ne sont pas ceux-ci qui m’ont épargné la souffrance de la psychiatrie moderne.

J’ai donc réussi à ne pas être internée en hôpital psychiatrique sur le champ, ils m’ont laissée rentrer chez moi ce soir-là. J’ai aussi réussi à obtenir une hospitalisation ambulatoire qui devait prendre effet dès le lendemain 15h00.

En rentrant chez moi, j’ai pleuré toute la nuit en me maudissant d’avoir cédé à un tel chantage. J’ai réussi à dormir un peu en me disant que rien n’était perdu et que j’allais pouvoir revenir sur cette décision.

Ce matin-là, c’est sous le choc de l’entretien du jour précédent que je me rendis au gymnase. Toute la journée, je me mis à chercher un moyen de me sauver de cette hospitalisation ambulatoire qui devait débuter à 15h00.

15h00, je me rends à Clarens où se trouve l’hôpital de jour de la fondation de Nant. Je rassemble mes forces pour me lancer dans ce que je crois être le deuxième round de l’entretien du jour précédent. Je m’attends à devoir à nouveau me battre pour défendre mes intérêts. Cette fois je sais à quoi m’attendre, ils ne me prendront pas par surprise comme ils l’ont fait le jour d’avant. Je suis prête à me battre et à ne pas les laisser décider pour moi.

Je franchis la porte de l’établissement. On m’emmène dans une chambre où j’attends le médecin psychiatre en chef pour lui dire ce que je pense de cette hospitalisation.

A ma grande surprise, c’est l’infirmier qui arrive et qui me dit qu’on va commencer par me donner des calmants. Je refuse, il n’est pas question que je prenne quoi que ce soit. Moi qui ne fume pas, qui ne bois pas et que ne me drogue pas, il n’est pas question que j’avale un psychotrope.

L’infirmier commence à s’énerver et me dit que j’avais accepté cet arrangement et que j’avais choisi de me faire hospitaliser. Je dis que non, absolument pas. Je ne veux pas être internée, même si j’ai cédé le jour précédent parce que je n’en pouvais plus de leur chantage et que je voulais que ça s’arrête.

Il me dit: « vous avez accepté, on ne va pas revenir là-dessus, avalez ça ». Il me tend des cachets que je refuse d’avaler. Je lui dis d’aller chercher le psychiatre. Il n’est pas content, mais part le chercher.

C’est à ce moment-là que j’aurais mieux fait de fuir plutôt que de tenter de leur faire changer d’avis.

Les deux hommes reviennent. Le psychiatre est remonté à bloc. Ce n’est pas la même personne, il a changé de comportement, de négociateur, il est passé à autoritaire et dictateur.

Il ne prend même pas la peine d’écouter mes propos, il me bascule sur le lit qui se trouve dans la pièce et l’infirmier m’enfile une aiguille dans le bras. Il la relie à un goutte-à-goutte rempli de tranquillisant.

Je suis tellement sous le choc que je ne résiste pas. Je me mets à pleurer et je ne bouge plus. Je suis terrorisée par leurs comportements et je me dis qu’il vaut mieux attendre sans bouger qu’ils me laissent repartir. Au bout de 45 minutes, je suis dans les vapes. Ils m’enlèvent la perfusion et me disent que je peux y aller et qu’ils m’attendent le lendemain à la même heure.

Je rentre chez moi complètement défaite et choquée. Je dis à ma mère qu’il n’est pas question que j’y retourne.

A ma grande surprise, elle me répond que les médecins l’avaient prévenue que je serais « réfractaire au traitement », mais que c’était tout à fait normal et qu’elle devait se montrer forte et ne pas céder. Ils lui ont dit que toutes les personnes comme moi rejetaient l’aide qu’on leur fournissait, mais qu’il fallait être ferme pour mon bien et ne surtout pas croire ce que je disais.

Deuxième choc de la journée, ils avaient retourné ma mère contre moi.

Là, j’étais perdue. Que devais-je faire pour me sortir de ce guet-apens? Je me retrouvais dans une situation horrible.

Je tentais de reprendre mes esprits; chose pas facile après la dose de calmants qu’ils m’avaient envoyée. Je pris donc cinq cafés pour me réveiller. Au bout de quelques heures, j’essayais de faire mes devoirs. Il fallait que je m’accroche à quelque chose de bien réel et de concret. Mes cours devenaient plus que jamais ma bouée de sauvetage dans cette tempête irréelle.

Malheureusement, je n’arrivais pas à comprendre grand chose de ce que je lisais dans l’état où je me trouvais et je finis par m’endormir.

Je me réveillais le lendemain toujours un peu dans le coltard. J’allais aux cours, mais je ne réussis pas à suivre, j’avais trop peur de ce qui m’attendait à 15h00. Sur le chemin qui me menait jusqu’à mes tortionnaires, je me mis à pleurer tellement je me sentais impuissante à leur faire face. Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas trouvé la force de rentrer directement chez moi. Je crois que j’avais trop peur de faire souffrir ma mère et surtout, j’avais trop peur de l’entendre prendre le parti des psychiatres contre moi. J’avais tellement besoin de son soutien, que je ne me sentais pas la force de la décevoir.

Je me mis alors en tête l’idée suivante:

Si je fais tout ce que veulent ces psychiatres, ils me laisseront rapidement tranquille. Je vais accepter sans rechigner ce qu’ils m’imposent et je vais tenter tant bien que mal de poursuivre mes cours. Je prendrais beaucoup de café pour me réveiller et je vais aller marcher juste après leur perfusion pour faire partir le plus rapidement possible les effets sédatifs de leurs tranquilisants.

C’est avec cette stratégie en tête que je retournais tous les jours à 15h00 dans cette chambre des tortures.

Pendant un mois, chaque jour, ils m’ont laissée seule dans cette chambre avec une perfusion de tranquilisants dans le bras. J’étais contente qu’ils ne me parlent pas, ça rendait ces 45 minutes moins pénibles.

Pendant un mois, chaque jour, j’ai marché pendant 1h30 en sortant de chez eux pour essayer de dissiper cet engourdissement qui me rendait amorphe.

Pendant un mois, chaque jour, j’ai bu des litres de café en rentrant à la maison.

Pendant un mois, chaque jour, je n’ai pas réussi à suivre les cours tant ces calmants me rendaient amorphe.

Tout ce mois de novembre 1994, je l’ai passé dans le coltard. J’attendais qu’ils me laissent reprendre possession de ma vie. Je comptais les jours avant la délivrance.

Mais non, ils ont bien arrêté de me faire des perfusions à la fin du mois de novembre, mais j’étais devenue dépendante aux médicaments qu’ils m’avaient injectés tous les jours pendant un mois. Je n’avais pas pensé qu’il existait une dépendance à ces substances et je croyais que je pourrais m’en débarrasser rapidement tout comme des psychiatres.

Non, ça continuait. Comme je me sentais mal à cause de ces produits, ils ont dit à ma mère que c’était normal, que c’était la maladie qui gagnait du terrain et que c’était ma faute, car j’avais voulu continuer d’aller aux cours malgré leurs recommandations de cesser toutes mes activités. Ils ont expliqué mes symptômes dus aux effets secondaires des médicaments psychiatriques, comme étant les manifestations d’une maladie mentale.

Ma mère horrifiée de me voir dans un tel état d’angoisse et de mal-être physique m’a de plus en plus poussée à suivre les recommandations de ces personnes. Elle m’obligeait à prendre les comprimés qu’ils lui avaient donnés.

J’ai donc pris ces comprimés.

A ce moment-là, je dormais 23 heures par jour. C’était terrible, je n’arrivais plus à me maintenir réveillée. Je n’arrivais plus à manger, je me forçais à avaler un petit pain chaque jour. J’ai perdu 10 kilos en quelques semaines. Je passais mes journées allongée dans mon lit.

J’étais devenue un légume…