7. Le baccalauréat en poche

Depuis la fin du mois de février 1995, j’avais réussi à reprendre le chemin des cours. Cela n’était toutefois pas facile de suivre le programme avec les quatre mois de retard que j’avais accumulés. Quatre mois d’absence en dernière année de gymnase, ça fait beaucoup et je n’étais pas du tout sûre de décrocher mon bac à l’issue de cette année.

J’avais très peur d’échouer, car ça pouvait me renvoyer devant des difficultés insurmontables.

J’ai donc décidé de ne pas m’écouter et de fonctionner en mode automatique: seul moyen de ne pas souffrir.

J’allais aux cours quelques heures par jour, incapable de rester réveillée plus d’une demie journée à cause de la dose massive de neuroleptique et d’anxiolytique que les psychiatres m’avaient prescrite. Je devais également me rendre à leurs entretiens deux fois par semaine. Sans oublier que je devais faire bonne figure à la maison pour que ma mère ne s’inquiète pas et qu’elle me laisse continuer à fonctionner ainsi jusqu’à la fin de l’année scolaire.

Le mois de juin arriva très vite et avec lui les examens finaux clôturant ces trois années de gymnase. Mais avec lui arriva également le moment de s’inscrire à l’Université. Je n’y avais plus du tout pensé, étant complétement absorbée par mes problèmes du moment. C’est ainsi que mon professeur de mathématiques est venu me voir pour me dire qu’il fallait absolument que je m’inscrive à l’Université et qu’il fallait que je choisisse l’option mathématique.

Mais je n’étais pas du tout prête à envisager mon futur dans l’état où je me trouvais. J’avais juste envie d’investir l’énergie qu’il me restait dans les révisions afin de pouvoir peut-être décrocher mon bac.

Je m’inscrivis quand même à l’Université de Lausanne en section mathématique dans le but d’avoir un dossier d’inscription en route au cas où je décrocherais mon bac et que j’aurais la force de continuer à vivre.

C’est vraiment dans cet état d’esprit que je remplis mon formulaire d’inscription, car je ne me voyais aucun avenir après le bac. Je continuais simplement à avancer vers cette fin d’année scolaire, parce qu’autrefois ça avait été mon but…

Et, par je ne sais quel miracle, je décrochais brillamment mon bac malgré mon état lamentable.

La remise des diplômes ne fut pas très agréable pour moi, car beaucoup de mes camarades ont pensé que j’avais été largement avantagée et que les professeurs m’avaient donné mon diplôme.

Je ne peux pas leur en vouloir, car eux tout ce qu’ils ont vu, c’est une fille qui n’est pas venue aux cours pendant quatre mois et qui est venue à la carte les quatre mois qui suivants.

En fait, mes camarades ne m’ont presque pas vue pendant cette dernière année et ils en ont vite conclu que je me l’étais coulée douce tout ce temps pendant qu’eux trimaient comme des fous. Mais c’est un peu de ma faute s’ils ont pensé ça de moi, car je ne voulais pas qu’ils soient tenus au courant de mon passage dans une unité psychiatrique et seuls quelques amis proches le savaient.

Pour que cela soit bien clair: J’ai dû passer les examens finaux comme tout le monde et je n’ai pas eu de traitement de faveur à ce sujet!

Je me sens obligée de préciser cela, car lors de cette remise des diplômes, une grande majorité de mes camarades et de leurs parents ont émis des doutes à ce sujet.

Heureuse d’avoir obtenu mon baccalauréat (maturité fédérale section mathématique-science), j’oubliais quelques instants mon calvaire psychiatrique.

Bien évidemment, je devais toujours ingurgiter des comprimés et j’étais toujours soumise à des entretiens psychiatriques à la section ambulatoire de l’hôpital psychiatrique de Nant.

Mais ce traitement allait bientôt prendre fin.

Lorsque les psychiatres m’annoncèrent que mon « traitement » chez eux était terminé, j’étais aux anges. J’étais persuadée que mes stratégies avaient payé et que le fait que je réussisse à passer mon bac avait contribué à les faire changer d’avis à mon sujet.

En réalité, mon attitude n’y était pour rien dans leur décision. Si mon « traitement » prenait fin, c’était parce que cela figurait dans le protocole de l’établissement. Les patients de cette unité de l’hôpital psychiatrique de Nant, ne pouvaient être suivis que pendant six mois et moi j’avais été suivie pendant presque neuf mois…

Le psychiatre en chef insista bien sur la chance que j’avais eue d’être suivie pendant trois mois de plus que le protocole de soin ne l’autorisait. Qu’il avait fait une exception pour moi et que je devais me montrer reconnaissante envers lui pour ce geste exceptionnel!

Lorsque je sortis de ce dernier entretien, des larmes de joie me coulaient le long de joue. Je voulus partager le bonheur de cette liberté retrouvée avec ma mère, mais celle-ci cassa vite cet élan en me disant:

« Les psychiatres m’ont dit que tu n’étais pas tirée d’affaire, loin de là. En fait, ta maladie est bien installée et continue à progresser. Il va falloir qu’on te trouve un excellent psychiatre qui puisse continuer le traitement commencé par les psychiatres de Nant. »

Je restais interloquée…