8. Vacances d’été et diagnostics

Eté 1995.

J’avais décroché mon baccalauréat et le supplice enduré pendant neuf mois entre les murs de l’unité psychiatrique ambulatoire de Nant avait pris fin.

Je décidais de m’offrir un peu de temps cet été-là.

C’est ainsi que j’allais tous les soirs au Festival de Jazz de Montreux pour y retrouver des amis. Nous passâmes des moments inoubliables ensemble. Ce fut le plus bel été de ma vie.

Je crois que le fait d’être privé de liberté permet de mieux apprécier les moments où celle-ci nous est rendue.

C’est avec un bonheur immense que je partageais ma liberté retrouvée avec mes amis.

Je gagnais aussi un peu d’argent en effectuant quelques petits boulots sympas.

En cet été 1995, la vie reprenait son cours.

Je souffrais toujours à cause des médicaments psychiatriques que je devais avaler, mais j’essayais d’occulter les douleurs psychique et physique que ces substances engendraient.

Je repensais souvent aux paroles de mère concernant un éventuel traitement psychiatrique futur. Je réfléchissais à ce que les psychiatres de Nant avaient bien pu lui dire à mon sujet pour qu’elle s’inquiète de la sorte. De quelle maladie mentale m’avaient-ils affublée?

Ils m’avaient dit que je souffrais d’une dépression grave. Je n’avais jamais été d’accord avec ce diagnostic, car à mes yeux, je souffrais plutôt de surmenage et d’anxiété générés par le peur d’échouer à mon examen final.

Le diagnostic de dépression grave laissait entendre qu’il y avait un risque de suicide, mais moi, j’aimais la vie et je n’avais jamais eu d’idées suicidaires.

Bien sûr, je pense que durant toute la période où j’ai du supporter leurs humiliations psychiques et physiques (les séances de packs), je ressemblais plus à quelqu’un de dépressif voire suicidaire, qu’à quelqu’un qui aime la vie.

Il semblerait également qu’ils aient dit à ma mère que j’étais une personne psychotique paranoïaque.

Donc, d’après les psychiatres de Nant, j’étais une folle qui avait perdu le sens des réalités (psychotique) et qui nourrissait une image démesurée d’elle-même en pensant que tout le monde voulait lui nuire (paranoïaque).

J’ai certainement dû ressembler à ça pendant que j’étais ligotée dans les packs. En effet, je m’évadais par la pensée pour ne plus souffrir quand je me retrouvais enfermée nue dans ces draps glacés. Ce qui a dû leur faire penser que je perdais le contact avec la réalité. J’avais également peur d’eux donc, je ne me confiais pas et le fait d’avoir dû enlever ma culotte m’avait profondément blessée et humiliée. Ce qui leur a certainement fait penser que j’étais paranoïaque, puisque les personnes paranoïaques « discernent des significations cachées, humiliantes ou menaçantes dans des commentaires ou des évènements anodins, perçoivent des attaques contre leur personne ou leur réputation, alors que ce n’est pas apparent pour les autres et sont réticentes à se confier à autrui en raison d’une crainte injustifiée. » (voir définitions Wikipédia)

Les psychiatres de Nant ont donc réussi à persuader ma mère que j’étais une personne atteinte d’une grave maladie mentale et que je devais être suivie au plus vite par un psychiatre pour que ma maladie n’empire pas.

Durant cet été 1995, je ne sus toutefois pas qu’ils m’avaient collé cette étiquette de psychotique, car ils n’en avaient informé que ma mère. Je pensais qu’ils m’avaient simplement classée dans la catégorie des dépressifs.

Je passais donc d’agréables vacances, ne me doutant pas de la détresse que vivait ma mère suite au portrait de malade mentale que les psychiatres de Nant lui avaient brossé de moi.

Certes, je la voyais inquiète à mon sujet, mais je pensais qu’elle voyait aussi à quel point j’étais mieux depuis que je ne devais plus me rendre aux séances de packs.

Je me disais qu’avec le temps tout allait rentrer dans l’ordre, que nous allions pouvoir reprendre le cours de nos vies.

Je m’étais inscrite à l’Université de Lausanne en section biologie finalement. J’étais enthousiaste à l’idée d’entamer un cursus dans ce domaine.

Malheureusement, j’avais dû continuer à prendre les médicaments prescrits par les psychiatres, car j’avais été incapable de les stopper à cause des forts symptômes que l’arrêt de ceux-ci occasionnait. Je ne savais pas à cette époque-là que l’on pouvait développer une dépendance physique à ces produits, donc je m’en voulais beaucoup de ne pas arriver à me débarrasser de ces substances qui étaient les derniers signes de mon passage douloureux en psychiatrie.

Et je ne savais pas encore que cette dépendance allait me coûter ma liberté et que j’allais de nouveau devoir affronter le monde de la psychiatrie.

 


Définitions Wikipédia:

Une personne psychotique est une personne qui souffre d’une psychose.

La psychose est définie sur Wikipédia comme suit: « Le terme psychose, introduit au XIXe siècle, désignait la folie et l’aliénation. C’est un terme général qui désigne les affections mentales les plus graves, caractérisées par une atteinte globale de la personnalité. Selon le DSM IV, la psychose se caractérise par des troubles, transitoires ou permanents, de la personnalité liés à une altération du « sens de la réalité et de soi », et associe des symptômes positifs (délires, hallucinations), négatifs (apathie, aboulie, émoussements des affects…) et dysexécutifs (attention, mémoire de travail…). Selon les tenants de cette approche, les psychoses comprennent deux grands groupes: schizophrénie et psychoses délirantes. »

Personne paranoïaque:

« Ce trouble affecte de 0,3 à 2,5 % de la population générale. D’un point de vue sémiologique, les personnalités paranoïaques se caractérisent par quatre traits fondamentaux qui entraînent à terme une difficulté d’adaptation sociale :

1. la surestimation pathologique de soi-même ;
2. la méfiance extrême à l’égard des autres ;
3. la susceptibilité démesurée ;
4. la fausseté du jugement.

Le DSM-IV définit ainsi le trouble de la personnalité paranoïaque :

A. méfiance soupçonneuse envahissante envers les autres dont les intentions sont interprétées comme malveillantes, qui apparaît au début de l’âge adulte et est présente dans divers contextes, comme en témoignent au moins quatre des manifestations suivantes:

1. le sujet s’attend sans raison suffisante à ce que les autres l’exploitent, lui nuisent ou le trompent ;
2. est préoccupé par des doutes injustifiés concernant la loyauté ou la fidélité de ses amis ou associés ;
3. est réticent à se confier à autrui en raison d’une crainte injustifiée que l’information soit utilisée de manière perfide contre lui ;
4. discerne des significations cachées, humiliantes ou menaçantes dans des commentaires ou des évènements anodins ;
5. garde rancune, c’est-à-dire ne pardonne pas d’être blessé, insulté ou dédaigné ;
6. perçoit des attaques contre sa personne ou sa réputation, alors que ce n’est pas apparent pour les autres, et est prompt à la contre-attaque ou réagit avec colère ;
7. met en doute de manière répétée et sans justification la fidélité de son conjoint ou de son partenaire sexuel ;

B. ne survient pas exclusivement pendant l’évolution d’une schizophrénie, d’un trouble de l’humeur avec caractéristiques psychotiques ou d’un autre trouble psychotique et n’est pas nécessairement due aux effets physiologiques directs d’une affection médicale générale. »