Un(e) rebelle qui est-ce?
Selon la définition du Larousse (2019), l’adjectif rebelle signifie:
Qui est fortement opposé, hostile à quelque chose, qui refuse de s’y soumettre : Un enfant rebelle à la discipline.
Qui se prête difficilement à l’action à laquelle on le soumet : Mèche rebelle.
Qui est difficile à guérir, qui ne cède pas aux remèdes.
Selon cette définition, être rebelle, c’est donc s’opposer, ne pas se soumettre, ne pas céder.
Pour CRNTL (2012), le (la) rebelle est aussi celui ou celle:
Qui se révolte contre l’autorité du gouvernement légitime, d’un pouvoir établi.
Qui ne reconnaît pas l’autorité de quelqu’un, qui n’est pas docile.
Et moi, tout comme la mèche rebelle, je ne me suis pas laissée manier: la psychiatrie n’a pas réussi « sa mise en pli ».
Je
me suis révoltée contre ces psychiatres qui faisaient et qui font
aujourd’hui encore autorité dans le domaine de la santé de notre mental.
La société leur a donné ce pouvoir, celui de décider quel état mental
est normal et quel état ne l’est pas.
Mon état mental,
mon système de pensées, ma réflexion, mon imaginaire ne leur plaisaient
pas. Selon leurs critères, ma façon de penser le monde et la société
n’était pas dans la norme, dans ce qui est attendu.
Quand
j’étais entre leurs mains, j’ai tout de suite montré que je ne
reconnaissais pas leur autorité, que je ne les sentais pas capables de
m’aider dans la situation difficile que je vivais et que je ne leur
laisserai pas la moindre chance de m’imposer leur façon de concevoir la
vie et leur façon de considérer mon état mental. Cette perte de pouvoir a
certainement été difficile à gérer pour eux. Les gens pas dociles
possédant des visions différentes, ils n’aiment pas. Alors, ils leur
font baisser leur garde en appliquant les mesures de répression
légitimes que l’Etat leur a autorisé à appliquer: ralentissement des
fonctions mentales à l’aide de substances chimiques, contraintes
physiques à l’aide d’éléments divers et variés qui limitent la liberté
de mouvement (camisole de force, cellule d’isolement,…) et pressions
psychologiques, émotionnelles et sociales par des menaces et des
discours qui incitent à la peur.
Qui se prêterait docilement à cela? Qui mettrait sa vie, sa santé mentale ou son futur dans les mains de telles personnes?
La
réponse à ces questions n’est pas simple. En effet, le choix d’accepter
docilement de se soumettre à ces traitements ou pas va dépendre de
l’envie de la personne de s’intégrer à la société dans laquelle elle vit
et de répondre à ses attentes.
Dans notre société, les
valeurs sont telles, qu’on attend des gens qu’ils soient performants,
compétitifs et productifs. Qu’ils sachent gérer leur stress et leurs
émotions et ce, surtout en public, et qu’ils se montrent sous leur
meilleur jour au quotidien.
De plus, on attend d’eux qu’ils se soumettent au paradigme matérialiste sans restriction.
Les
personnes qui ne partagent pas ces valeurs, mais qui essaient tant bien
que mal de rentrer et de coller à ces normes, finissent par en
souffrir.
Enfant, j’ai essayé de toutes mes forces
d’être la petite fille qu’on voulait que je sois. Adolescente, j’ai
essayé de toutes mes forces de coller au modèle de la jeune fille
parfaite qui étudie et qui se projette dans un futur où elle exercerait
une profession scientifique qui aiderait les gens à être heureux….
Mais déjà depuis l’enfance, qu’est-ce qu’il avait été difficile pour moi
de me plier à toutes ces exigences qui m’obligeaient à cacher mes
réactions naturelles pour qu’on m’accepte… pour qu’on m’aime.
Ne
pas montrer mes peurs, ne pas crier mes colères face aux injustices, ne
pas montrer ma tristesse,… Etre d’humeur toujours égale, ne pas faire
de vague… suivre le troupeau… ne pas être ce mouton noir qu’on
évince parce qu’il ne ressemble pas aux autres…
Des efforts et une énergie monstrueuse dépensés à être comme une petite fille doit être….pour être aimée.
Adolescente,
ces efforts et cette énergie à être la personne qu’on attend qu’une
jeune fille soit, j’ai continué à les déployer, mais ce n’était plus
seulement pour qu’on m’aime, mais aussi et encore plus fortement pour ne
pas être rejetée du système ou ne pas y avoir ma place.
A
l’adolescence, je pense que la question que nombre de jeunes se posent
est: y a-t-il un place pour moi dans cette vie? Et c’est là que la
réponse que l’adolescent(e) va apporter, va être cruciale pour sa vie
future.
En répondant à cette question, je pense que l’erreur que font beaucoup d’ados, mais d’adultes aussi, est de confondre:
Avoir une place dans la vie et Avoir une place dans la société
Lorsqu’on
pense que pour avoir une place dans la vie, il faut avoir une place
dans la société, nous allons tout faire pour répondre aux exigences de
la société, de sorte à nous assurer une place en son sein et par là une
place dans la vie.
Alors que lorsque l’on comprends que
pour avoir une place dans la vie, il n’y a pas besoin d’occuper une
« place standardisée et conforme aux normes de la société », alors on
change complétement de perspective et au lieu de tout faire pour se
conformer à ce qui est « bien vu » dans notre société, nous faisons ou
plutôt nous devenons qui nous sommes: nous prenons cette place dans la
vie qui nous permettra d’avoir notre place dans la société.
Adolescente,
j’ai cru que pour avoir le droit de vivre, il fallait avoir une place
dans la société et que pour avoir une place dans la société, il fallait
faire comme on me disait: comme mes parents me disaient, comme les
enseignements me disaient, comme les autorités me disaient….
J’avais
tellement peur d’être rejetée et de ne pas avoir de place dans ce
monde, que j’étais prête à tout pour qu’on m’accepte dans ce « cercle
d’élus » qui vivent une vie heureuse dans le système social.
Mais
le stress engendré par les années passées à réprimer ma vraie nature, à
me conformer aux règles et à suivre le chemin sans joie que la société
avait tracé pour les jeunes filles m’a rattrapé et épuisé.
Au gymnase (lycée), je n’arrivais plus à donner le change. Je n’arrivais plus à être celle qu’on attendait que je sois….
Pour
réussir un parcours scolaire « sans faute » (la faute étant définie ici
comme l’échec scolaire ou la non obtention du diplôme: chose qui est
très très mal considéré dans la société), j’avais petit à petit mis de
côté les derniers éléments de soupape qui me permettaient de gérer
l’énorme stress engendré par la pression à la conformité. Enlever mes
derniers moyens de m’évader et d’être moi-même, a été l’élément de
conformisme de trop. Les vannes ont commencé à sauter! C’est comme si
les coutures de l’habit de conformité que j’avais enfilé depuis mon
enfance étaient en train de sauter!!!
Mon « habit de
conformité » allait exploser et tout le monde allait voir que je n’étais
pas comme eux, que j’étais un imposteur qui tentait tant bien que mal de
cacher son anormalité et son incapacité à faire comme tout le monde
sous un habit de normalité trafiqué de toutes pièces.
L’énergie
et les efforts déployés pour cacher ma vraie nature et pour maintenir
les apparences étaient tels que le soir, en rentrant chez moi, je
m’effondrais littéralement….
Je commençais à fortement angoisser à l’idée que les gens réalisent que je n’étais qu’un imposteur incapable de faire comme tout le monde. Je déprimais
à l’idée de ne pas savoir comment j’allais faire pour vivre toute ma
vie avec cette pression trop forte: comment allais-je trouver, tous les
jours, pendant encore au moins 60 ans, l’énergie pour donner le change
et me conformer à ce que la société attend d’un individu qui aspire à
vivre heureux en son sein?
A la fin de l’adolescence,
j’étais épuisée par cette quête sans relâche de ma place dans la
société. J’angoissais et je déprimais à l’idée de ne pas avoir ce que je
considérais comme le précieux sésame pour mériter d’être en vie: pour
moi si je n’arrivais pas à trouver et obtenir une place dans la société,
je n’avais pas ma place dans cette vie, dans ce monde…
La pensée du suicide à
l’adolescence…. je pense qu’elle vient souvent de là: de cette idée
que si on n’arrive pas à se conformer ou à justifier notre utilité pour
la société, alors on n’a pas sa place dans la vie.
Cette idée, je
le sais maintenant, est complétement fausse: ce n’est pas parce qu’on
n’est pas à la place à laquelle la société voudrait qu’on soit, qu’on
n’a pas le droit de vivre. La société, c’est juste un ensemble de règles
qui dictent comment un groupe d’humains a décidé de fonctionner
ensemble. Si on a envie de fonctionner autrement, on a le « droit » et je
dirais, on en a même le « devoir ».
Ce n’est pas parce qu’on ne
souhaite pas fonctionner selon des règles et des valeurs qui ne nous
correspondent pas qu’on n’a pas le droit de vivre!
Tout le monde a le droit de vivre sa vie comme il l’entend tant qu’il respect la vie de l’autre.
Bien
évidemment, au moment où mon « habit de conformité » a commencé à craquer
les coutures, mon entourage s’est inquiété. Mais la solution pour faire
« rentrer les choses dans l’ordre » s’est rapidement manifestée: les
redresseurs de non-conformité étaient là: les psychiatres se sont
présentés à ma porte.
Tu n’arrives pas à faire comme tout le monde? Tu fais des vagues? On
va t’aider à reprendre le droit chemin….ou on va te « planquer à la
cave » avec les autres rebus de la sociétés, avec tous ceux, qui comme
toi, n’arrivent pas à fonctionner comme on attend qu’ils le fassent.
Je
conçois la psychiatrie comme « la section de la société » qui s’est donné
et, au final, qui a légitimement reçu comme mission de faire rentrer dans
le droit chemin, les individus qui ne se conforment pas aux codes
sociaux.
Comme je n’arrivais vraiment plus à me
conformer aux codes sans m’effondrer et faire craquer les
coutures de mon habit de conformité, mon entourage a décidé qu’il
fallait faire appel aux psychiatres pour qu’ils m’aident à comprendre
comment être, penser et faire pour vivre une vie normale et heureuse.
Je ne voulais pas
aller en psychiatrie, car je me suis dit qu’il allait me falloir fournir
encore plus d’énergie et d’efforts pour « montrer ma normalité » pour
qu’on « m’estampille: conforme pour vivre dans cette société: a sa place!«
J’étais
épuisée par les efforts que je fournissais pour suivre la voie scolaire
qu’il convenait en vu d’obtenir le sésame qui estampille: « conforme aux exigences scolaires: a obtenu son diplôme!« . Je ne voulais pas devoir encore ajouter la contrainte de devoir prouver que j’avais un fonctionnement mental conforme.
J’ai
donc tout fait pour ne pas aller en psychiatrie. Pendant plusieurs
heures, je me suis opposée à leur décision de me faire suivre un
traitement. Puis, à la fin, j’ai changé d’avis en me disant que si je ne
me conformais pas à leur demande, ça allait mal finir, puisqu’ils faisaient
autorité dans le domaine de ce qui est conforme ou ne l’est pas. Je me suis dit que si je voulais qu’on me
considère comme quelqu’un qui fonctionne normalement, il fallait que je
suive les règles de vie de la société et que j’aille faire un tour dans
ce « service » pour que je prouve que j’avais les aptitudes
pour me conformer à ce qui est attendu.
Mais comme les
psychiatres m’avaient vue très réfractaire à leur proposition de
traitement et que par ailleurs, ils s’étaient déjà fait une opinion sur
mon état mental à la lecture des observations de psychologues qui
m’avaient suivie pendant mon enfance, je pense que j’avais déjà sur le
front, aveuglante comme la lumière d’un gyrophare, la très belle étiquette:
NON CONFORME!
© Carole Advices 12 avril 2019