Les classifications diagnostiques : que faut-il en penser ?

Les classifications diagnostiques : que faut-il en penser ?

Consigne: Afin de favoriser une réflexion critique sur les classifications diagnostiques, mais aussi plus généralement sur les définitions de la santé et de la maladie ainsi que sur les normes (sociales, statistiques, subjectives, etc.), nous vous demandons de discuter de manière argumentée autour de la question « les classifications diagnostiques : que faut-il en penser ? »

Normes sociales et naissance des classifications diagnostiques

Je pense qu’en terme de construction de la maladie mentale, nous nous trouvons dans la droite lignée de ce qu’explique Foucault (1954). Comme par le passé, lorsque la folie (ou la différence dirait-on peut-être de nos jours 😉 ) ne s’intègre plus au paysage culturel, on met tout en oeuvre pour la faire disparaître.
L’auteur explique qu’il fût un temps où le fou n’était pas considéré comme un malade mental. Il était accepté avec ses différences dans le paysage sociétal et culturel. Puis, l’église a chargé, par deux fois, la médecine de montrer que certains comportements qui ne lui convenaient pas (rites sataniques, comportements des hérétiques,…) étaient le fait d’une imagination déréglée, de violents mouvements des humeurs ou des esprits. Au milieu du 17e siècle, ce sont tous ceux qui donnent des signes de dérangement par rapport à la morale et à la société qui sont internés dans des maisons pour les fous : on enferme les personnes non-conformes aux normes sociétales et culturelles. Dès le milieu du 18e siècle, on veut soigner les fous et on se donne pour mission de les rééduquer, de leurs réapprendre les valeurs morales et sociétales, comme a tenté de le faire Pinel. À partir du 19e siècle, on punit le fou que l’on rend coupable de ne pas respecter la morale.

À ce moment, le fou, le malade mental, semble avoir été défini comme celui qui ne respecte pas la morale et qui est coupable de ce comportement non conforme. Il convient donc de l’enfermé et de le châtié.

De nos jours, comment perçoit-on le fou, celui qui n’est pas comme tout le monde, celui que l’on dit malade psychiquement ? Si on s’en réfère à la définition du trouble mental proposée par l’Organisation Mondiale de la Santé (2016), qui dit que le trouble mental se caractérise généralement par une combinaison de pensées, d’émotions, de comportements et de rapports avec autrui anormaux, alors nous pouvons raisonnablement penser que celui que nous percevons comme atteint mentalement est celui qui a des pensées, des émotions, des comportements et des rapports avec les autres qui ne rentrent pas dans ce que nous définissons comme étant normal ! Mais qu’est-ce que nous définissons comme étant normal ? La normalité psychique, est-ce simplement le fait de présenter un comportement conforme aux normes, établies par la société, qui dictent comment nous devons nous conduire, penser, ressentir et interagir face aux événements de la vie ? Le malade mental serait donc celui qui ne réagit pas de façon attendue à une situation donnée ? Il serait celui que la société ne comprend pas, parce qu’elle ne peut pas prédire ses comportements et pour lequel elle se serait donné pour mission de soigner sa déviance en lui faisant comprendre que pour aller mieux, pour se sentir bien, il n’y a qu’un manière de faire, c’est adopter les modes de pensée, de conduite, de rapport avec autrui et de manière de ressentir qu’elle a défini comme étant ceux qui permettent d’être en bonne santé mentale.

À partir de là, il semble que la société a ressenti le besoin de décrire dans un manuel ces fameuses combinaisons de pensées, d’émotions, de comportements et des rapports avec autrui qu’elles trouvaient comme anormaux.

Pour cela, elle a décidé de s’appuyer sur des données statistiques pour décrire ces fameux phénomènes comportementaux, psychiques, relationnels et émotionnels anormaux. Par conséquent, statistiquement, les profils se trouvant aux deux extrémités d’une gaussienne ont été définit comme sortant de la norme et donc comme étant pathologiques.

Il me semble raisonnable de penser que les systèmes de classification diagnostiques ont trouvé naissance à travers ce processus.

Que faut-il penser des classifications diagnostiques ?

Avantages et inconvénients

Il me semble que les classifications diagnostiques ne répondent pas vraiment à la question que les individus qui souffrent et les professionnels de la santé mentale se pose. À savoir comment aider quelqu’un qui vit une détresse psychique. Ces classifications diagnostiques répondent plutôt à la question de savoir ce qu’est un comportement, un style de pensée, des émotions et des rapports à l’autre non-conformes à ceux admis par la société. Par ailleurs, il est raisonnable de penser que ce n’est pas en classant les gens dans des catégories ou en positionnant leur profil sur un continuum dimensionnel dans un manuel statistique a-théorique et dont la description des diagnostics a été élaborée par une poignée d’individus, qu’on va être en mesure de soulager leur souffrance.

À ce moment-là, vous me diriez : Mais pour soigner cette souffrance, il faut qu’on lui trouve un nom pour pouvoir ensuite administrer au patient le traitement qui a fait ses preuves sur elle !

Je vous dirais, oui, un des avantages des classifications diagnostiques seraient de permettre au clinicien de mettre des mots sur le mal-être psychique dont parle la personne et de pouvoir communiquer verbalement sur détresse. Elles permettent également aux professionnels d’avoir un langage commun pour parler des difficultés de cette personne. Finalement, elles permettent aussi au clinicien de comprendre les informations sur ce mal-être fournies par les études du chercheur.

Cependant, les diagnostics posés par les professionnels de la santé mentale peuvent être une nouvelle source de souffrance. En effet, la personne qui vient parler de son mal-être se sentira, peut-être, dans un premier temps soulagée de savoir que sa souffrance à un nom et que le clinicien la connaît, mais dans un deuxième temps, cette étiquette pourra augmenter sa souffrance en la faisant se sentir stigmatisée et encore plus anormale qu’avant, puisqu’elle est maintenant labellisée comme étant une de ces personnes qu’on dit souffrir de maladie mentale.

Autre inconvénient majeur des classifications diagnostiques actuelles : le traitement consécutif à l’annonce du diagnostic. Pour une grande majorité des diagnostics posés à partir des classifications diagnostiques comme le DSM, il est proposé un traitement médicamenteux. Or, parmi les membres de l’APA et des équipes qui définissent les critères diagnostics de ces manuels, il y a un grand nombre d’individus qui ont des intérêts financiers à définir les maladies de sorte à ce qu’elles permettent à l’industrie pharmaceutique de vendre ses produits. En effet, comme l’explique Lepastier (2008), 56 % des rédacteurs du dsm-IV avaient des relations financières avec l’industrie pharmaceutique. Le taux s’est élevé à 100 % pour ceux chargés du chapitre sur la dépression et les troubles de l’humeur. Mais les liens entre les concepteurs du DSM et les firmes pharmaceutiques vont plus loin et les concepteurs du DSM incluent même dans leur classification diagnostique de nouvelles maladies mentales que les firmes pharmaceutiques se sont permis de définir pour vendre leurs produits. En effet, comme l’explique Gekiere (2009), « le marketing pharmaceutique concourt activement à l’invention de nouvelles maladies et à l’élargissement de celles déjà existantes. Un des exemples les plus connus est celui de la timidité transformée en phobie sociale . Actuellement, l’extension sans fin du champ des troubles bipolaires permet la prescription de neuroleptiques et de régulateurs de l’humeur à des gens vaguement dysphoriques ou tout simplement malheureux ».
De plus comme l’explique Debauche (2009), une des fonctions obscures des essais cliniques est de faciliter la commercialisation de troubles psychiatriques. Si un médicament a un effet significatif sur un état particulier, cela implique que ce trouble existe. L’enjeu vis-à-vis des médecins est de parvenir à capturer leur regard clinique.

Avec l’omniprésence des firmes pharmaceutiques dans le monde de la maladie mentale et dans l’élaboration des critères diagnostiques, les concepteurs du DSM ne se contentent plus de définir la différence comme un comportement anormal, mais ils déshumanisent la maladie en donnant une valeur marchande au diagnostic. Il me semble qu’avec le DSM-5, nous franchissons encore un pas, avec la partie destinée à stimuler les recherches, notamment celles en neurobiologie. En effet, il me semble que cela ouvre encore plus grand la porte à l’influence des firmes pharmaceutiques dont les produits agissent sur la biologie du cerveau.

Risques d’utilisation et de non-utilisation, par un psychologue, d’une classification diagnostique

Il semble raisonnable de penser que le psychologue prend des risques en utilisant un manuel diagnostique élaboré sur des bases aussi discutables. Poser un diagnostic n’est pas chose anodine, étant donné que cela va avoir de grandes répercussions sur la vie de la personne qui le reçoit (rente invalidité, arrêt de travail, stigmatisation, adaptation de l’identité par rapport à cette nouvelle information, ….), ainsi que sur le traitement qui lui sera proposé (psychothérapie, internement en hôpital psychiatrique, médication psychotrope,…). Un diagnostic peut bouleverser une existence, le psychologue prend donc un grand risque en posant un diagnostic sur une personne.

Paradoxalement, le psychologue prend également un risque s’il n’utilise pas la classification diagnostique pour poser un diagnostic. En effet, s’il ne pose pas de diagnostic à partir du DSM, de la CIM ou d’une autre classification, il prend le risque que son client parte, puisqu’il est fort probable que les frais de traitement de ce dernier ne seront pas pris en charge par l’assurance sans l’établissement d’un diagnostic. Le psychologue prend également le risque de ne pas être compris par ses collègues lorsqu’il parle du « cas » de son patient sur lequel il n’a pas poser d’hypothèse diagnostique à partir d’une classification commune.

Conclusion

Créer une classification qui décrit les souffrances psychiques que les individus peuvent vivre est une bonne idée en soi. En effet, cela permet aux chercheurs de définir les caractéristiques des sujets de leurs études et de comprendre les demandes du clinicien. Cela permet aussi aux cliniciens de comprendre les résultats des études des chercheurs. L’utilisation d’une classification diagnostique, comme dictionnaire des troubles permettant aux différents professionnels de se comprendre, est une idée intéressante.
Le problème des classifications diagnostiques réside plutôt dans l’utilisation qui en est faite avec le grand public. En effet, les classifications diagnostiques semblent servir des fins sociétales normatives, des intérêts financiers (industrie pharmaceutique) ou encore des fins politiques.

En définitive, que faut-il penser des classifications diagnostiques ?
Je répondrais, que l’important ce n’est pas l’outil, mais ce pourquoi il a été conçu et ce qu’on en fait. Ainsi, les classifications diagnostiques ne sont ni bonnes ni mauvaises, ni utiles ni inutiles, ni à risque, ni sans risques. Elles le deviennent de part les objectifs pour lesquels elles ont été conçues et en fonction de l’utilisation qui en est faite.

 

Carole, mars 2016

 

Références

Debauche, M. (2009). Les médicaments psychiatriques : modes et tendances. Médicaments. Accès http://www.maisonmedicale.org/Les-medicaments-psychiatriques.html

Foucault, M. (1954). Maladie mentale et psychologie. Paris : PUF

Gekiere, C. (2009). Valeur marchande du diagnostic. Sud/Nord Folies et cultures, 24(1), 29-36. Accès http://www.cairn.info/revue-sud-nord-2009-1-page-29.htm

Lepastier, S. (2008). La construction de la maladie dépressive dans la psychiatrie athéorique. Cliniques méditerranéennes, 77(1), 77-92. Accès https://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2008-1-page-77.htm

Organisation mondiale de la santé. (2016). Troubles mentaux. Accès http://www.who.int/topics/mental_disorders/fr/