5. Les packs

Nous allions entrer dans l’année 1995. Cela faisait maintenant deux mois que je subissais des tortures physiques et psychiques.

Ca avait commencé par ces injections forcées de médicaments et c’était en train de se poursuivre par ces « packs ».

A chaque entretien, je tentais de garder ma petite culotte, c’était devenu le but ultime de ma vie. Mais à chaque fois, je n’arrivais pas à tenir mes positions face aux psychiatres. Ils me forçaient à me dévêtir et à me coucher sur les draps mouillés qu’ils avaient étendus sur le lit. Une fois que j’étais allongée, ils refermaient ces draps glacés sur mon corps en prenant bien soin d’immobiliser mes bras et mes jambes. Je me retrouvais ainsi dans l’impossibilité de bouger pendant 45 minutes.

Dès qu’ils m’avaient ligotée, je ressentais la morsure du froid transpercer mon corps et mon âme. Le froid de ces draps glacés et détrempés était tellement vif que mes dents se mettaient à claquer et que ma tête devenait douloureuse.

Eux étaient contents, car comme ils me l’expliquaient, c’étaient eux qui avaient mis au point cette technique des packs et ils étaient les seuls à la pratiquer en Suisse: « Nous sommes des pionniers! », s’exclamaient-ils tous fiers. Ils m’expliquaient ensuite que cette méthode était sensée me détendre et me permettre de retrouver ma sérénité…

Franchement, comment voulez-vous vous détendre quand on vous a obligé à vous dévêtir entièrement et que vous êtes gelé jusqu’aux os? Pour moi en tous cas, c’était devenu un supplice doublé d’une humiliation profonde.

J’appréhendais chaque rendez-vous. En plus, nous étions en plein hiver et la maigreur que j’avais atteinte me faisait encore plus subir la morsure du froid. Il me fallait plusieurs heures pour arriver à me réchauffer après chaque rendez-vous.

Ces entretiens étaient physiquement très éprouvants. Une bonne partie du peu d’énergie vitale qu’il me restait passait dans ce combat contre le froid.

Mais pendant ces 45 minutes passées ligotée dans le froid, il fallait encore que je subisse leurs discours.

J’avais été orientée vers l’hôpital psychiatrique de Nant à cause de mon anxiété et de mes inquiétudes face à ma dernière année de gymnase. J’avais tellement peur de ne pas être à la hauteur que j’avais sacrifié toute mon adolescence à la réussite de mes études, ce qui m’avait conduite à un épuisement nerveux. J’avais de la peine à trouver le sommeil et le manque de repos ne faisait qu’aggraver mon anxiété. J’avais visiblement trop tiré sur la corde les deux années précédentes et mon corps me le faisait savoir.

Malheureusement, ce n’est pas de ça que me parlaient les psychiatres. Dans leur discours, il était question de problème de rébellion et de sexualité.

Je ne sais pas où ils ont été chercher ça, car je ne me rebellais pas contre l’autorité, bien au contraire, j’en avais tellement peur, que je me conformais à tout. Je ne fumais pas, ne buvais pas, ne me droguais pas, ne sortais pas et acceptais de faire ce qu’on me disait.

La seule rébellion que j’ai eue c’était face à eux et à leurs traitements humiliants et inhumains.

Quant à savoir quel problème ils ont trouvé à ma sexualité, je ne vois pas.

Bref, les deux thèmes abordés lors de ces consultations psychiatriques ne me semblaient pas être le centre du problème. Mes soucis se situaient plus du côté du surmenage, du manque de sommeil et du surinvestissement dans mes études.

Avec le recul, je pense qu’ils croyaient que j’avais un problème sexuel à cause de ma résistance face à l’enlèvement de ma culotte pour entrer dans leurs packs. Et bien sûr, j’avais certainement à leurs yeux un problème avec l’autorité vu que j’avais toujours été réfractaire aux traitements qu’ils m’imposaient.

Ces deux mois de la fin de l’année 1994 ont été un enfer. On me privait de mes cours, du soutien de ma mère, de ma liberté, de mon corps et de mon âme. J’étais passée en quelques semaines du statut d’étudiante brillante à celui de déchet humain.

Je n’étais plus rien, à quoi bon vivre?